Le journaliste qui sème les bonnes pratiques écologiques en Haïti

Il a découvert, lors de la COP à Paris, que son pays était l’un des plus vulnérables au changement climatique. Depuis, il s’efforce de sensibiliser ses compatriotes.

Tout a commencé loin de chez lui, lors de sa venue à Paris, à la fin 2015, à l’occasion de la COP21. Là, Patrick Saint-Pré l’annonce sans ambages : il a connu, à l’âge de 30 ans, une véritable « révélation ». « J’ai appris que Haïti est l’un des trois pays au monde les plus vulnérables par son exposition au changement climatique, alors qu’ici tout le monde semble l’ignorer », résume-t-il. Selon la Banque mondiale, plus de 90 % des habitants du pays vivent sous la menace d’une catastrophe naturelle accentuée par le réchauffement en cours.

Journaliste couvrant l’actualité économique au Nouvelliste – le grand journal de Haïti, fondé en 1898 –, Patrick Saint-Pré avait répondu sans idée préconçue à une proposition du programme Earth Journalism Network, de l’ONG internationale Internews. C’est ce qui lui a permis, il y a trois ans, de faire le voyage pour la France et de participer au sommet international sur le climat. Marqué par son séjour parmi les élus, experts, journalistes et militants écologistes du monde entier, il crée dès son retour une association, rédige un projet avec l’aide de son épouse pour décrocher quelques subventions, et s’efforce depuis de porter la bonne parole dans son pays.

Son objectif : sensibiliser ses compatriotes aux effets du climat, promouvoir de bonnes pratiques, préserver l’environnement, protéger l’eau, les sols. Compte tenu du niveau de connaissance de la population sur ces sujets, la tâche est immense, et n’a aucune chance d’être accomplie sans aide. Patrick Saint-Pré a donc entrepris un travail de fond, et même de fondation. Méthodiquement.

La radio pour informer les Haïtiens

Pour diffuser des « informations actualisées, fiables et crédibles », comme il dit, pas d’autre choix que de miser sur la radio, « de loin le média le plus performant dans un pays où à peine 30 % de la population a l’électricité et ne peut donc pas regarder la télé », rappelle-t-il. L’émission, qui a débuté en novembre sur l’antenne de Magik 9 (du groupe Le Nouvelliste), s’appelle tout simplement Haïti climat et est adossée à un site Internet. Pour l’alimenter, il faut des journalistes. Le jeune homme a donc constitué un réseau d’une dizaine de correspondants, répartis sur l’ensemble du territoire.

Son budget ne lui permettant pas de les salarier, il s’est adressé aux principales universités et écoles de journalisme de Port-au-Prince. Il a constitué un jury pour sélectionner des nouveaux diplômés, à qui il a proposé un stage de quatre mois rémunéré, durant lequel ces derniers ont reçu une formation au multimédia et aux questions d’environnement. « Nous leur avons fait rencontrer des experts de la gestion des déchets, de l’eau, des opérations post-catastrophes… Et nous essayons, avec nos accointances, de les aider à trouver un emploi », explique Patrick Saint-Pré. En retour, les premiers articles de ces jeunes journalistes vont nourrir le site.

« Je n’ai aucune envie d’émigrer comme tant d’autres »

« J’espère leur insuffler ma passion », poursuit le jeune homme. Marié, né aux Gonaïves, dans le nord de l’île, d’une mère enseignante et d’un père absent, il a étudié la communication à l’université d’Etat de Haïti. Lui qui n’a toujours pas l’eau courante chez lui assure que son engagement en faveur de l’environnement est motivé par son « égoïsme » : « Je veux vivre à Haïti, je n’ai aucune envie d’émigrer comme tant d’autres. Sur les soixante élèves de ma promotion à la fin du collège, il y en a peut-être dix qui sont restés, pas plus. Mon réseaude journalistes haïtiens, si je le faisais à Miami, j’aurais plus de monde… »

Il s’enflamme dès qu’il évoque tout ce qui pourrait être amélioré. « A chaque pluie, par exemple, les déchets filent à la mer, et la boue entraîne systématiquement des glissements de terrain sur le tronçon de route que le président emprunte pour se rendre à son palais. A chaque fois, il faut une excavatrice pour dégager le passage, rapporte-t-il. Un jour des maisons vont descendre avec. Mais on ne fait rien. »

Pour changer les choses, Patrick Saint-Pré mise sur l’action citoyenne, bien plus que sur celle des autorités. « L’Etat est tellement discrédité à Haïti que lorsqu’il prévient de l’arrivée d’une forte intempérie, les gens refusent de se mettre à l’abri. On l’a vu pendant le passage de l’ouragan Matthew, en 2016, regrette-t-il. Il faut travailler comme les abeilles : c’est tous ensemble qu’il faut agir. »

https://www.lemonde.fr/climat/visuel/2018/12/13/en-haiti-patrick-saint-pre-le-journaliste-qui-seme-les-bonnes-pratiques-ecologiques_5396987_1652612.html