L’aide au développement en Haïti
Synthèse d’une conférence organisée le 6 juin 2017 par l’AFD.
Haïti est 163e au classement par indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement ; c’est le seul pays de la zone Amérique latine et Caraïbes à l’IDH inférieur à 0,5. Pour l’AFD, agence de développement active depuis quarante ans dans le pays, il est nécessaire de « tirer les enseignements inévitables d’un échec de l’aide à Haïti » pour améliorer l’accompagnement du Gouvernement dans la conduite des réformes (H. Conan).
Les projets de développement se construisent sur le temps long par essence « pour développer pas à pas des réformes, des stratégies, des compétences » (H. Conan). L’ancien coordinateur des Nations unies en Haïti, J. Boutroue, rappelle qu’il est normal que le changement prenne vingt ou trente ans de soutien et d’accompagnement constant. En Haïti, le problème est que la progression est régulièrement mise à mal par la succession de catastrophes naturelles et d’épisodes politiques difficiles : un cyclone frappe le pays environ tous les trois ans, mettant à mal des fondations structurelles à peine établies. Peut-on pour autant en conclure que « l’aide au développement a du mal à s’accommoder avec les urgences » ? (P. Robert) En tout cas, tous les acteurs s’accordent à dire qu’il faut repenser l’aide en Haïti pour envisager l’avenir.
« Est-ce qu’Haïti pourrait se passer de l’aide publique au développement ? » (P. Robert)
L’ancien premier ministre d’Haïti, J.-M. Bellerive, refuse de céder aux sirènes du dénigrement de l’aide internationale. Le pays a « souvent eu le nez hors de l’eau grâce à la coopération » alors que « ni le Gouvernement, ni la population elle-même, n’étaient en mesure de répondre aux besoins primaires d’une population » (J.-M. Bellerive). Pour A. Lescot, l’aide a « permis à énormément de personnes de vivre et de survivre » mais elle reconnaît qu’il est compliqué d’envisager l’après des programmes d’aide mis en place suite aux catastrophes. Cette complication est liée en partie à la « confusion entre aide et reconstruction » selon l’ancien premier ministre.
L’ancien premier ministre J.-M. Bellerive soutient que « l’adéquation parfaite entre projet et plan de développement est extrêmement rare, même dans le cadre national » : il y a parfois des modifications en cours d’exécution suite à une nomination ou à un événement naturel qui change les priorités. « Les structures internationales doivent aider le Gouvernement à prioriser ses objectifs et à se tenir à ses objectifs, ce qui est spécialement compliqué dans un pays de fragilité extrême. » (J. Boutroue)
Après quarante ans d’aide internationale ininterrompue dans le pays, une « dépendance à l’aide (…) s’est développée [en Haïti et] est devenue une norme » (A. Lescot). La Banque mondiale a d’ailleurs reconnu que « l’aide internationale encourage souvent le statu quo » (J. Boutroue) et limite elle-même son propre effet de levier. La succession des missions onusiennes en est l’illustration. Pour Michèle Oriol, sociologue haïtienne et secrétaire exécutive du Conseil interministériel d’aménagement du territoire d’Haïti, la « présence onusienne constante est éminemment ambiguë » et il en découle ce qu’elle appelle une « irresponsabilité partagée » : l’État et les Nations unies se renvoient la balle sur le choix des priorités.
Comment agir efficacement pour le développement ?
Face à la faiblesse de l’État haïtien et à l’échec des programmes de développement jusqu’aujourd’hui, le soutien aux structures locales peut représenter une alternative viable pour les acteurs de l’aide : « si l’on cherche un accélérateur de développement, il faut cibler les régions, les arrondissements, etc. » (J. Boutroue). Pour Anne Lescot, il faut peut-être envisager d’« adopter plutôt une politique du petit pas, et pas uniquement élaborer des grands plans structurels (…) qui dépendent du Gouvernement. » (A. Lescot) À l’AFD, la sélection des projets soulève déjà ce type d’interrogation sur l’essaimage possible de projets locaux réussis : « les projets appuyés permettent-ils de présenter au Gouvernement des démarches qui pourraient être amplifiées à plus large échelle pour essayer de trouver les voies du développement d’Haïti ? » (H. Conan).
L’influence de la société civile est un levier à activer : il passe par le renforcement de ces acteurs. « La reconsidération des acteurs locaux [par les organisations internationales] (…) est la condition sine qua non pour influencer le Gouvernement. » (A. Lescot) Pour J.-M. Bellerive, « une action concertée de la société civile » est indispensable mais celle-ci n’est pas assez organisée pour avoir une influence réelle. Mais il soutient que « c’est l’un des centres éventuels d’une sortie d’Haïti de ces problèmes récurrents de sous-développement. »
Cette conférence a eu lieu mardi 6 juin 2017 à l’AFD.
Les échanges ont été animés par Philomé ROBERT, journaliste haïtien, intervenant sur France 24, journaliste sur RFI.
Sont intervenus : Jean Max BELLERIVE, Premier Ministre d’Haïti de 2009-2011 ; Joël BOUTROUE, Coordinateur général des Nations unies en Haïti de 2006 à 2009 ; Hervé CONAN, Directeur du département Amérique Latine et Caraïbes de l’AFD ; Anne LESCOT, Anthropologue et documentariste, chargée de mission Haïti à la Fondation de France
Retrouvez la synthèse de la conférence dans son intégralité.
Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne reflètent pas forcément la position officielle de leur institution ni celle de l’AFD.