Ouest-France 19mars 2020, Recueilli par Christelle GUIBERT.

L’année 2020 devait être la grande année de l’action climatique. La pandémie de Covid-19 a bouleversé les priorités. « Il faudra en tirer les leçons », analyse l’économiste écologiste Laurence Tubiana, titulaire de la chaire Développement durable à Sciences Po Paris et directrice de la Fondation européenne du climat, estime qu’il faut « tirer les leçons » de cette pandémie de coronavirus. Pour elle, cette crise est en lien direct avec nos modes de vie et l’écologie.

Faites-vous un lien direct entre cette crise sanitaire et le climat ?


Il est important de rappeler que le Covid-19 est une zoonose, une maladie issue du monde animal. Sa propagation a été rendue possible par nos modes de vie. L’extension de l’habitat humain, la déforestation, l’artificialisation des sols, provoquent de plus en plus d’interactions entre l’espèce humaine et le monde sauvage. En 2016, le Programme des Nations unies pour l’environnement a conclu à une forte augmentation des zoonoses. 31 % des épidémies telles que les virus Ebola, Zika et Nipah sont liées à la déforestation. Avec le réchauffement climatique, la grippe n’est déjà plus saisonnière dans les tropiques. Le dérèglement climatique, directement lié aux émissions de gaz à effet de serre de l’activité humaine, est un vrai multiplicateur de menaces.

La crise sanitaire vire à la crise économique. Voyez-vous des similitudes avec celle de 2008-2009 ?

Il y en a plusieurs, d’ordres différents. Avec la diminution de l’activité économique, les émissions de gaz à effet de serre baissent. Moins de pollution dans l’air sauve des vies. En 2009, les émissions avaient baissé globalement d’un peu plus de 6% dans les pays développés (hors Chine), mais étaient remontées d’autant dès 2010. Là, il est encore trop tôt pour un bilan, même si les observations satellites ont montré de fortes diminutions en Chine et en Italie du Nord. Et comme il y a dix ans, tous les pays s’apprêtent à faire des relances économiques.

Les mesures prises après 2008, justement, n’avaient pas été très bonnes pour l’environnement…


La plupart de mes collègues économistes ne croyaient pas, alors, à un plan de relance vert pour faire repartir l’économie. Pour eux, c’était encore du long terme, une niche. Beaucoup d’entre nous, des experts, des scientifiques, avaient plaidé pour que les outils des grandes banques centrales, comme l’abaissement des taux, soient mobilisés au service de l’environnement. On l’a fait un peu. Il y a eu des investissements verts en Chine, aux États-Unis et en Europe. Mais ces derniers ont été mis à mal par de plus larges investissements dans les énergies fossiles. On en paye les conséquences aujourd’hui.

Pourquoi serait-ce différent en 2020 ?


On ne devrait pas refaire les mêmes erreurs. Aujourd’hui, on entend Christine Largarde, avant au FMI et maintenant à la Banque centrale européenne dire : « Le climat a une importance macro-économique ». Les États auront les moyens d’emprunter, d’émettre des obligations vertes. Il faut relancer les emplois. On peut le faire en augmentant les bonus pour les véhicules propres, les aides à la transition pour les agriculteurs, la rénovation énergétique dans le bâtiment, l’électrification des transports…

Des lois climat, adoptées dans de nombreux États, garantissent-elles une relance verte ?


Elles ont besoin d’être renforcées, mais elles dirigent des dépenses publiques au service de stratégies bas carbone. C’est une bonne chose. On savait déjà qu’il fallait relancer l’économie. Celle-ci doit nous préparer une meilleure société.

Pour autant, le coronavirus semble avoir mis le climat entre parenthèses…


Oui, des marches ont été annulées, l’important sommet entre l’Union européenne et la Chine a été reporté et les efforts diplomates sur l’ambition climatique sont à l’arrêt. C’est cohérent, responsable et rationnel. Greta Thunberg dit suffisamment qu’il faut écouter les scientifiques. C’est vrai pour la crise du climat, cela vaut pour la crise sanitaire. Les spécialistes des épidémies nous disent que la seule manière d’écrêter le pic de contamination est d’éviter les regroupements et de rester chez soi. C’est la réalité, il faut le faire.

La pandémie s’annonce longue. Craignez-vous que la lutte contre le réchauffement climatique retombe, dans le niveau des priorités des gens ?


En une année, les mouvements de jeunesse ont fait bouger les lignes en Europe, aux États-Unis, en Afrique. Ils ont entraîné des parents, des grands-parents. Cette mobilisation a déjà eu des impacts politiques. On l’a vu aux élections européennes. On n’aurait jamais eu de Green Deal sans cela. Tous les groupes politiques intègrent fortement aujourd’hui la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, excepté peut-être l’extrême droite de certains pays européens.

L’enthousiasme affiché lors de la signature de l’Accord de Paris, en 2015, est pourtant retombé…


Effectivement. Depuis trente ans que je travaille le sujet, je vois bien que la conscience des enjeux climatiques progresse par vague. La formidable mobilisation politique 2015 est un peu redescendue, mais pas comme en 2008. Et cette fois, la pression vient de la base, pas d’en haut. C’est ce que nous disent les 150 Français de la Convention citoyenne du climat. La science est aussi davantage écoutée.

Donc, le climat pourrait redescendre d’un cran…


Je ne pense pas. Cette crise sanitaire est très liée à la crise écologie. Elle nous amène à réfléchir à notre surconsommation, à nos dépendances aux marchés internationaux, à l’interpénétration de nos économies.

Est-ce qu’au fond, l’extrême poussée de cette mondialisation n’a pas été trop loin ?

Le discours d’Emmanuel Macron était très intéressant, en ce sens : “On ne pourra plus vivre comme avant”. Il se passe quelque chose qui nous fait réfléchir. En 2008, un des conseillers d’Obama disait : “Une crise, il faut en faire une opportunité”. Je crois que c’est effectivement le moment.