L’année 2023 avait assez mal commencé: par l’inattendue et fulgurante maladie de notre partenaire de première ligne Christophe Nicaise, puis par un cauchemar qui a continué pendant trois mois jusqu’à sa mort tragique au mois de mai. Ce deuil fut pour plusieurs beaucoup plus long que prévu.

Première rencontre avec Molly et Chris Nicaise, à droite Luc Merisier de APCAB (Thiotte 2 avril 2012)

Aujourd’hui, à l’heure où la terreur s’intensifie Port-au-Prince, où la République Dominicaine a fermé la frontière avec Ayiti, et où plusieurs autres peuples de la planète sont entrainés dans de folles escalades meurtrières, je secoue ma torpeur et reprend la parole car nos ami.e.s et partenaires en Ayiti ont de nouveaux défis à relever pour mener à bien la prochaine récolte de café. La vie continue, malgré toutes les folies perpétrés par les bipèdes non-ailés que nous sommes et qui ont l’inconscience de s’appeler des êtres humains. Me semble qu’il nous reste encore un peu de chemin à parcourir jusqu’à l’humanité. En appuyant nos partenaires paysan.ne.s d’Ayiti a continuer à cultiver intelligemment du café dans leur extraordinaire écosystème forestier.

Écosystème caféier à Baptiste: Plateau Central, Ayiti.

Je crois que nous participons ensemble à une modeste avancée vers une vraie humanité. Il nous faut pour cela continuer à construire sans relâche autour des zones de destruction afin que tous les enfants de la planète aient un futur viable.

Je me souviendrai longtemps de ces neuf premier mois de 2023 car ils sont gravés dans mon corps de la même façon qu’un certain “goudougoudou” de 2010 est encore imprimé dans la mémoire de ceux qui y ont survécu. Mais je commence à en sortir “grasadye” comme disent nos ami.e.s d’Ayiti. “Grasadye” et grâce à nos ami.e.s d’Ayiti car malgré l’intensification du chaos, “nous” (je veux dire “eux/elles”, c’est à dire les organisations paysannes de producteur.e.s de café et Kok-Ki-Chante, l’entreprise sociale haïtienne qui les appuie) ont réussi à exporter depuis le début de l’année 5 conteneurs de café vert! Un au Japon, un à Montréal et 3 aux États-Unis.

Je me pince pour m’assurer que je ne rêve pas mais c’est bien réel: Kok-Ki-Chante est maintenant l’exportateur de café #1 en Ayiti… Koutchapo Fedner!

Le chargement du conteneur de café vert pour Montréal (août 2023)

Cependant la prochaine récolte qui vient de commencer s’annonce difficile.

Surtout à Baptiste car UCOCAB (Union des Coopératives Caféières de la région de Baptiste) manque cruellement de capacité de séchage du café parche et d’équipement pour faire le décorticage. Depuis plusieurs années la collaboration étroite avec Kok-Ki-Chante permettait de répondre à ces besoins puis quand la situation à Port-au-Prince a commencé à se dégrader la décision a été prise de développer la capacité de séchage d’UCOCAB en construisant à Baptiste des équipements de séchage alternatifs élaborés par une coopérative de Thiotte (projet UCOCAB, Kok-Ki-Chante, Rooster, nOula, financé par le MRIF, Ministère des Relations Internationales et de la Francophonie).

Séchoir expérimental à tiroirs: il augmente 5 fois la capacité de séchage au pied carré (MarBlanch avril 2023)

Malheureusement peu de temps après l’exportation du dernier conteneur de la récolte 2023 la frontière dominicaine a été fermée, ce qui complique la construction des séchoirs à Baptiste car une partie des matériaux devait être achetée en République Dominicaine.

Le niveau d’incertitude en ce qui concerne la prochaine récolte est donc assez élevé pour les producteurs et pour Kok-Ki-Chante. En ce qui concerne l’approvisionnement de nOula en café vert ce n’est pas problématique car sentant le chaos s’intensifier j’ai importé au mois d’août une plus grande quantité que d’habitude et nous avons donc maintenant en inventaire à Montréal suffisamment de café vert pour tenir beaucoup plus longtemps qu’une année. Soit le temps que les choses se calment à Port-au-Prince.

Ce tableau n’est pas réjouissant mais les producteur.e.s tiennent bon. La communication avec Walter, Lenord et Donald à Baptiste est excellente. La région est sécuritaire mais c’est clair que tout est plus difficile car les deux principales portes d’entrée-sortie vers l’international sont fermées. Les défis principaux pour les producteur.e.s semblent maintenant être l’accès aux intrants/technologies agroécologiques et le manque de capacité de séchage pour le café parche.

Récolte du café cerise

Nos efforts doivent donc être mobilisés vers des solutions efficaces à ces problématiques, mais sans oublier notre responsabilité première, qui est la raison d’être de nOula: fournir aux producteur.e.s d’Ayiti l’accès au marché canadien en y vendant et en y distribuant leur café.

Pour terminer sur une note positive j’aimerais mentionner quelque chose qui me touche particulièrement car lors de notre expédition “SolidariTour” à Baptiste plusieurs membres de nOula ont eu la chance de rencontrer Issanor Bernard, le responsable qualité d’UCOCAB. Il nous a emmené sur sa parcelle et nous avons pu voir de nos propres yeux en quoi consiste le travail de régénération d’une parcelle caféière.

Issanor Bernard, producteur de café et responsable qualité d’UCOCAB (février 2016)

Cet été j’ai demandé à Issanor de partager les résultats de ce travail qui a commencé en 2013 sur cette parcelle de 1.28 hectare: pour sa première année il y avait récolté 35 marmites de cerises. En 2022, soit 9 ans plus tard, il a récolté 1’500 marmites de cette même parcelle ce qui lui a donné un revenu d’environ $5’000 canadiens: c’est presque 4 fois le revenu annuel brut en Haïti (qui est de $1’330) . L’objectif d’Issanor, homme de vision, est d’atteindre 3’000 marmites sur cette même parcelle. 

C’est cette réalité qui tient les producteur.e.s motivé.e.s et proactif.ve.s malgré le chaos à Port-au-Prince et les conflits avec le voisin dominicain.

C’est à cette réalité que nous participons en consommant et en vendant le café des quelques 2’000 familles qui mutualisent leurs ressources au sein de leurs organisations paysannes de producteur.e.s de café.

Je crois sincèrement que notre participation à leurs efforts est une façon efficace et durable de solutionner les problèmes effarants causés par l’injustice et l’inégalité sociale dont nous (pays “riches”) sommes directement ou indirectement responsables.

Redoublons nos efforts pour propulser leurs produits au Québec et dans le reste du pays.

Chaque vente que nous générons, même minime, est pour les paysan.ne.s d’Ayiti et leurs enfants un message d’espoir et d’appui concret.

Les enfants d’Issanor

Merci d’y collaborer.

Cliquer sur l’image ci-dessous pour visionner le film réalisé par Lindy Michel en Aiyiti avec l’appui d’André Vanasse à Montréal. Avril 2023: récolte du café, encadrement agroécologique sur les parcelles, nouveau type de séchoir élaboré par la coopérative de MarBlanch (département du Sud-Est).